Jour 1 du ohenrō. 17,6 km au total. Temples 1 à 6.

 

Voici le genre d’article que je voulais écrire au départ. Un article contraignant, une énumération de temples dans l’ordre chronologique, une suite d’anecdotes racontées sur le moment. La tyrannie d’un système qui oblige à écrire dans un certain format est peut-être bonne pour certains, mais de mon côté, ça m’a sérieusement gelé. Je vais quand même vous laisser ce premier texte, parce qu’il est quand même pas mauvais.

Jour 1.

Pour bien repartir la journée, on repasse rapidement au temple 1. Je sonne la grosse cloche et je fais brièvement le voeu de ne pas me casser la gueule pendant le pèlerinage. Je me demande qui a décidé que les vœux devaient rester privés. C’est pourtant pas un gros secret: je pense que pas mal tout le monde commence par souhaiter de se rendre au bout du henrō avec tous ses os intacts (ou c’est peut-être juste moi, ça se peut bien que certains commencent par demander aux déités d’intervenir pour leurs êtres proches ou pour la paix dans le monde avant tout, dans un certain esprit d’abnégation. Moi, je me suis dit que j’aurais 87 autres temples à visiter et que, sans ce vaisseau imparfait aux genoux incertains qu’est mon corps, je ne pourrais pas prier pour personne d’autre, alors j’ai commencé par moi…)

Justement, parlant de corps magané, j’ai commencé le henro avec un bandage élastique au genou gauche: ça me donne la démarche d’un bonhomme de 400 livres, mais je sens que je peux faire du kilométrage avec cette méthode.

Petite note, en passant: les temples numérotés sont, en fait, des petites collections de temples regroupés sur un même terrain. Je pourrais ici comparer, très rapidement, avec les chapelles du Calvaire d’Oka. Chacune est là pour rappeler un personnage, un événement important, un concept religieux. Ici, c’est un peu la même chose. Il y a toujours un temple principal, dédié à une déité ou à un aspect du Bouddha, puis un temple secondaire, à quelques pas de là, où l’on prie le moine Kūkai, aussi appelé Kōbō Daishi, celui qui a amené le bouddhisme Shingon au Japon et qui a en quelque sorte instauré le pèlerinage de Shikoku. (L’histoire est un brin plus complexe, mais je garde ça simple, là.)

Bref, la plupart du temps, il y a plein d’autres endroits où prier, d’autres concepts à invoquer. Parfois, c’est une statue particulière, ailleurs, c’est une fontaine spéciale, un petit temple secondaire où on peut demander d’avoir une belle grossesse, un couple durable, moins d’oignons aux pieds, etc. (Je déconne à peine, il y a des fontaines pour les yeux malades, des sandales géantes pour les pieds endoloris, des statues pour le diabète, des rochers qui font un beau bruit métallique quand on les cogne avec des cailloux (ça, j’ai pas encore deviné ce que c’était censé apporter…) et des étangs avec des carpes immenses qui doivent représenter la fertilité ou whatever.)

Aussi, il faut comprendre la différence entre les temples bouddhistes (pas mal tous de la secte Shingon, par ici) et les sanctuaires Shintō. Parfois, ils sont côte à côte, ou d’un bord et de l’autre d’une rue, quand ils ne sont pas carrément sur le même terrain. Pour reconnaître un sanctuaire Shintō, il faut chercher l’arche appelée torii.

Un torii légèrement ostentatoire: c’est à la limite de la démesure

Pour le même sanctuaire shintō, un peu plus loin sur la route. Come on, les gars, vous êtes pas en train de vous péter les bretelles, un brin?

Les temples bouddhistes ont la plupart un grand bâtiment de bois abritant des statues de gardiens effrayants, les Kongō rikishi, qui éloignent le mal et qui protègent un autre gardien, le Fudo Myōō, dieu qui représente la dureté du mental, la détermination de vaincre, le willing, quoi!

Le Patrick Roy céleste

 

Dans les alcôves, de chaque côté, se trouvent les statues en bois des Kongō rikishi, respectivement nommés Subban et Robinson, les légendaires

Temple 2, quelques minutes plus tard (les dix premiers temples sont assez rapprochés, vous irez voir la carte) et j’ai le choix entre quelques vestes. La vieille dame du jour précédent savait de quoi elle parlait, ça a l’air. J’en prends une légère à manches mi-longues. (Le moi du futur me remercie de cette décision: il va y avoir pas mal de soleil sur mes petits bras mous. Je n’ai pas pris le bâton en bois du pèlerin (kongōzue) parce que j’ai mes deux bâtons télescopiques en fibre de carbone. Un vieux bonhomme (le même, à la gare de train, qui me taponnait le bedon) me disait que j’allais sacrer en montagne avec mes bâtons. Moi du futur qui a déjà affronté une couple de grosses montagnes peut l’envoyer promener pour une excellente raison: je suis totalement satisfait de mes Komperdell à pointes au carbure qui mordent dans n’importe quel terrain et qui restent stables même sur la pierrre lisse.) Il m’a aussi demandé pourquoi je n’avais pas de chapeau en cône (sugegasa). J’avais lu sur les forums que ce n’est pas très confortable, que ça appuie sur le sac à dos, que ça prend de la place et que ça peut se briser si ça part au vent. Bref, une pléthore de bonnes raisons pour plutôt me fier à mon bon vieux Tilley lavable, léger, éfoirable, durable et qui comporte même une petite poche secrète pour mettre un peu d’argent en cas d’urgence. (Par contre, j’ai développé une assez grande confiance envers le peuple nippon et, quand je me suis rendu compte que les yen, même s’ils sont résistants à l’eau, deviennent tout frippés quand on les oublie dans son chapeau, j’ai laissé tomber l’idée de cacher mon argent. Le fait que je ne me sois JAMAIS fait donner un billet frippé m’a fait comprendre que ce peuple porte une attention particulière à son argent et que je devrais probablement en faire tout autant.) Je n’ai donc pas acheté de chapeau et je pense que j’aurais été embêté de transporter ça dans l’avion, tout comme le bâton qui aurait dû aller en soute.

Fier pet avec mon nouveau hakui (et encore une bonne vingtaine de livres en trop)

Arrivés au temple 6, Eric et moi avons pu faire notre lavage, mariner dans un onsen hyper chaud (le moi du futur dit que c’était pas mal le plus extrême de la gang), et nous repaître d’un souper léger mais délicieux (plein de bonnes choses en tempura). Enfin, pour clore la soirée, le moine à l’admission nous a demandé si on voulait participer à une cérémonie pour honorer nos ancêtres décédés. On a dit oui et le portier nous a présenté à chacun un petit sac contenant une petite branche d’arbre avec des feuilles, une chandelle dans un casseau en plasique, une lamelle de bois et des petits papiers. On a compris que la cérémonie serait en japonais seulement et qu’il voulait qu’on se prépare avant. Le papier, c’était pour mettre le nom d’un ancêtre récemment décédé. ma grand-mère paternelle m’est bien entendu venue à l’esprit en premier. Le papier a ensuite été attaché à l’une des feuilles de la branche. Sur la lamelle, un voeu pour soi, qui sera entendu pas la personne décédée. On a remis le tout dans le sac et on a attendu qu’on vienne nous chercher.

La cérémonie était plus une procession. on était les deux seuls étrangers parmi une quinzaine de pèlerins. On a commencé par passer dans le dainishijō, le temple de Kōbō Daishi, ou on a pu toucher à la statue du fondateur de la secte. Puis, on s’est assis dans le temple principal où il y a eu récitation de sūtras et de prières diverses. Eric était pas mal bon pour suivre en lisant dans un missel. Moi, eh bien, j’ai souri tout le long. C’était très beau.

Puis, le jeune prêtre s’est mis à nous expliquer de quoi. Je saisissais rien du tout. Pourtant, ça avait l’air super précis, extrêmement détaillé. Et long… J’avais l’impression qu’il expliquait l’Univers depuis sa création. Sans exagérer, je pense que ça a duré une demi-heure où le gars a à peine eu le temps de respirer tant il avait de quoi à dire. Après cette éternité on a été invités à traverser le temple et aller dans une salle à l’arrière. Eric en a profité pour me résumer les trente dernières minutes: « Il a expliqué ce qu’on va faire comme rituel. » Ah, bon… Le reste va être « lost in translation » j’crois ben.

On a allumé les bougies, puis on a déposé nos casseaux dans un petit canal qui ruisselait tout le long du mur d’une grande salle sombre. Alors que nos bougies cheminaient dans l’eau, il fallait planter notre branche d’arbre devant une des statues bordant le canal, selon l’année de naissance de notre ancêtre. J’y suis allé au hasard, parce que je ne connaissais pas le signe chinois de Jeannette. Ça ne devrait pas changer le cours du destin, d’après moi…

Petite prière devant l’arbrisseau, puis on se dirige au bout du hall pour faire brûler nos voeux (et le bout de bois où ils sont écrits, duh…). On passe à une autre grande salle où une imposante statue est érigée. Était-ce Bouddha? J’ai comme un blanc, mais on a prié en faisant trois circumambulations (yep, c’est un vrai mot. Qui plus est, c’est LE mot juste. Booyah!) puis notre parcours s’est terminé en repassant devant Kūkai et en lui flattant la main. (C’est toujours réconfortant.)

De retour à la chambre, on s’est affalé sur nos futons respectifs et ce fut tout pour la journée.

Ah oui, j’oubliais: Eric trouve que je ronfle comme un train de marchandises; moi, je dis plutôt que je rêve que je suis une tondeuse à gazon. C’est plus joli, non?

3 thoughts on “Jour 1 du ohenrō. 17,6 km au total. Temples 1 à 6.

  • Merci mon frère de nous partager ton merveilleux voyage, je pense souvent à toi. Je suis fière de toi, tu as entrepris quelque chose d’important, un voyage pour te trouver. xxxxx

  • Pas grand chose à rajouter car Julie a exprimé nos pensées à ton père et moi. J’adore te lire

  • Bravo Matthieu. Merci pour les délicieux textes écrits avec humour, c’est un délice de te lire. Continue ton pèlerinage au pays du soleil levant et si tu revois notre fils Eric, embrasse- le bien de notre part. Xx

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